Ce que nous misons n’est pas un billet de banque, mais notre vie. Et ce sur quoi nous jouons n’est autre que l’existence de Dieu. Rien de moins…

La conversion à pile ou face ? Tel est le pari de Pascal : pour lui, à la fois scientifique de premier plan et défenseur de la religion chrétienne, il est dans l’intérêt des incroyants de parier sur Dieu. Car s’il existe, c’est le jackpot – le bonheur éternel –, et s’il n’existe pas, la perte est nulle.

L’originalité pascalienne consiste à faire de Dieu non pas un objet de connaissance rationnelle, mais d’engagement personnel bien motivé. Pascal donne des assises mathématiques à la portée spirituelle de l’homme. Car au-delà de la question de Dieu, Pascal nous offre un éclairage toujours aussi vif sur les grandes décisions que nous sommes amenés à prendre en situation d’incertitude.

Autrement dit, il faut raisonner pour mieux sauter dans l’inconnu. Par conséquent, on a tout à gagner en (re)lisant fragment 397 des pensées où l’argument du pari est exposé :

« « Dieu est, ou il n’est pas. » Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n’en savez rien. (…)
Il  faut parier. Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. Puisqu’il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l’erreur et la misère. Votre raison n’est pas plus blessée, en choisissant l’un que l’autre, puisqu’il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter.
Puisqu’il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n’aviez qu’à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gagner ; mais s’il y en avait trois à gagner, il faudrait encore jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé de jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois, à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie et de bonheur. Et cela étant, quand il aurait une infinité de hasards, dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux ; et vous agiriez de mauvais sens, en étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d’une infinité de hasards il y en a un pour vous, s’il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini.
Cela ôte tout parti : partout où est l’infini, et où il n’y a pas infinité de hasards de perte contre celui du gain, il n’y a point à balancer, il faut tout donner. Et ainsi, quand on est forcé à jouer, il faut renoncer à la raison pour garder la vie, plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à arriver que la perte du néant. Car il ne sert de rien de dire qu’il est incertain si on gagnera, et qu’il est certain qu’on hasarde, et que l’infinie distance qui est entre la certitude de ce qu’on s’expose, et l’incertitude de ce qu’on gagnera, égale le bien fini, qu’on expose certainement, à l’infini, qui est incertain. Cela n’est pas ; aussi tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude ; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pécher contre la raison. Il n’y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu’on s’expose et l’incertitude du gain ; cela est faux. Il y a, à la vérité, infinité entre la certitude de gagner et la certitude de perdre.
Mais l’incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu’on hasarde, selon la proportion des hasards de gain et de perte. Et de là vient que, s’il y a autant de hasards d’un côté que de l’autre, le parti est à jouer égal contre égal ; et alors la certitude de ce qu’on s’expose est égale à l’incertitude du gain : tant s’en faut qu’elle en soit infiniment distante. Et ainsi, notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l’infini à gagner. Cela est démonstratif ; et si les hommes sont capables de quelque vérité, celle-là l’est.»