Le stage envahit tous les secteurs d’activité professionnelle. En effet, tout se passe désormais comme si le temps de formation n’était que le prolongement du temps de travail et qu’au même titre que d’autres portions du temps des travailleurs, il participait à la constitution de la plus-value. Des employeurs peu scrupuleux n’hésitent pas à recourir à des armadas de chômeurs et étudiants en cours d’études, corvéables à merci, pour occuper massivement de vrais postes opérationnels.

Flirtant dangereusement avec le travail dissimulé, dans certains secteurs particulièrement attractifs pour les jeunes, comme les agences de publicité, la communication, la presse, la mode ou naguère les start-up, des employeurs peu scrupuleux n’hésitent pas à recourir à des armadas d’étudiants en cours d’études, corvéables à merci et peu indemnisés, pour occuper massivement de vrais postes opérationnels. Pour les motiver, on leur fera miroiter une possible embauche. De toute façon, ils seront trop contents d’ajouter à leur CV un passage dans une société à forte notoriété. Le temps qu’ils se découragent, on aura bien profité de leurs bons et loyaux services.

«Je demande toujours à l’entreprise que je contrôle à quoi correspond le terme « stagiaire » mentionné dans le registre du personnel. Mais je ne peux guère aller plus loin. Je n’en ai pas le pouvoir. » Ainsi parle un inspecteur du travail. Il pourrait citer des dizaines de cas d’abus manifestes… qu’il ne pourra jamais sanctionner. Car le contrat de stage n’est pas un contrat de travail. A ce titre, il échappe au champ du Code du travail et du même coup au contrôle de ses inspecteurs.

Si certains stagiaires souffrent de ne rien apprendre … d’autres, à l’inverse, se retrouvent surexploités.

« J’ai travaillé pratiquement bénévolement comme assistante d’un photographe pendant six mois avant de m’apercevoir que je n’apprenais rien, témoigne une photographe professionnelle. Il était très connu et jouait sur sa notoriété. « C’est bon pour ton CV », me disait-il. Je devais me contenter de lui porter son matériel et de le regarder travailler… »

Elèves de l’école hôtelière que l’on déguise en maîtres d’hôtel, bachelières bombardées assistantes de direction censées remplacer successivement les trois titulaires pendant leurs vacances, futurs diplômés d’écoles de commerce assurant pour presque rien pendant leurs études des missions de cadres débutants… On trouve toutes sortes de stagiaires et toutes sortes d’abus, plus ou moins graves, dans les entreprises. Tout est affaire d’équilibre entre le besoin du stagiaire d’expérimenter la vie au travail et les contraintes économiques de l’entreprise, tentée d’abuser de la bonne volonté d’une main-d’œuvre bon marché et malléable.

« Mes élèves de BTS action commerciale ont besoin de la validation du maître de stage pour décrocher leur diplôme. Ils filent doux. Alors que certains employeurs ne respectent pas toujours leur part du contrat, en particulier en ce qui concerne la qualité du tutorat », témoigne une enseignante.

Au-delà du problème éthique que posent les abus, les employeurs indélicats ne doivent pas se croire à l’abri de toute poursuite : un stagiaire qui s’estime floué peut saisir le juge du travail pour obtenir la requalification de son contrat de stage en contrat de travail. Mais c’est à lui d’apporter la preuve de ce qu’il avance : il doit démontrer qu’il a assuré une véritable prestation de travail, qu’il existait un lien de subordination juridique avec son employeur, et l’employeur doit avoir tiré un bénéfice de sa présence dans l’établissement.

Même si de tels cas sont rares, les magistrats ont requalifié certains stages en contrat de travail lorsqu’il apparaissait clairement que le nombre de stagiaires était trop élevé par rapport à la taille de l’entreprise, que les stages étaient systématiquement renouvelés durant les périodes de vacances habituelles des salariés, que le contrat se poursuivait au-delà du terme de la convention de stage ou encore que le stagiaire n’avait bénéficié d’aucune formation.

Dans tous ces cas, la sanction peut être lourde : en plus du versement de l’arriéré de salaire (et de ses droits attachés : les congés payés, par exemple) et d’éventuels dommages-intérêts, l’employeur devra payer des indemnités de licenciement au stagiaire (puisque, en l’absence de document écrit, le contrat de travail est réputé être un contrat à durée indéterminée).

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