Nous sommes enclins à favoriser les personnes et les concepts familiers par rapport à ceux qui nous semblent étrangers. Cette incompréhension ou ce refus de comprendre nous poussent souvent à négliger, marginaliser, voire réduire à néant l’existence des autres.
Parce que les hommes- particulièrement ceux qui gouvernent- sont faillibles, les principes constitutionnels, tels que la primauté du droit et la séparation des pouvoirs, existent pour protéger les faibles contre les décisions erronées.

L’application des grands principes constitutionnels – notamment la primauté du droit et la séparation des pouvoirs – représentent une tentative de reconnaître les multi facettes de la faillibilité humaine dans la conception des institutions politiques.
Faillibilité psychologique
Ce n’est pas seulement que les mandataires du pouvoir du peuple sont confrontés à de sérieux défis dans l’analyse des informations nécessaires pour organiser une société complexe. Les décisions prises sur la base des informations dont ils disposent ont également tendance à être faussées par divers types de biais cognitifs. Il s’agit notamment des préjugés au sein du groupe – la tendance à traiter les personnes que vous connaissez plus favorablement que les étrangers – la tendance à préférer les idées et les concepts préexistants aux hypothèses opposées.
Certains des travaux contemporains les plus influents en psychologie morale utilisent ce que l’on appelle des modèles de cognition à double processus: l’un qui implique des jugements instantanés rapides et intuitifs ; l’autre impliquant une délibération consciente et réfléchie.
De nombreuses décisions sont initialement basées sur des jugements instantanés qui peuvent ou non être tempérés par une réflexion délibérée.
Le modèle à double processus renforce la probabilité que des distorsions telles que la préférence au sein du groupe. Ces types de préjugés sont susceptibles de façonner les affiliations politiques (ou tribales) et de les renforcer au fil du temps. Cela aide à expliquer pourquoi les politiciens semblent souvent davantage motivés par la loyauté envers un parti que par un intérêt à débattre ouvertement de questions politiques spécifiques : ils ont tendance à être d’accord avec les membres de leur groupe politique et à approuver les idées avec lesquelles ils sont familiers.
Les décisions biaisées dès le départ par des préjugés partisans et régionalistes montrent l’importance de promouvoir la diversité parmi les législateurs et les juges.
Faillibilité éthique
Le parti pris psychologique envers les idées et les concepts familiers a de profondes implications sur le rôle de l’éthique dans l’orientation du comportement humain. Les êtres humains ont naturellement tendance à considérer leurs propres intérêts comme plus importants que ceux des autres. Nous avons également tendance à traiter les personnes avec lesquelles nous avons des affinités personnelles plus favorablement que les étrangers. C’est l’une des raisons pour lesquelles le philosophe Aristote préférait « le gouvernement par les lois » au « gouvernement par les hommes ».
L’homme est vulnérable aux tentations d’agir de manière contraire à l’éthique. Nous savons tous ce que c’est que d’être tenté de faire quelque chose dont on se rend compte, après réflexion, qu’il n’est pas prudent ou éthique de faire. Nous savons tous ce que c’est que de céder à ces tentations et de le regretter plus tard. Nous savons aussi ce que c’est que d’être tenté d’apaiser notre culpabilité en rationalisant notre comportement, en nous accordant une licence morale, en prétendant que nous avons (bien) rempli notre devoir. Tout cela fait partie de la nature humaine.
Il ne fait aucun doute que la tendance humaine à l’intérêt personnel et à la partialité représente un défi qui doit être reconnu lorsqu’on s’engage dans une réflexion éthique et politique. La réponse n’est pas de renoncer à l’éthique, mais plutôt de faire preuve de prudence lors de l’accès au pouvoir, afin de ne pas donner le monopole à des groupes sociaux ou à des intérêts particuliers.
La séparation des pouvoirs protège contre l’intérêt personnel et la partialité en garantissant que les décisions du gouvernement ne soient pas prises au gré d’un individu ou d’un groupe. Le contrôle accru, associé aux formes judiciaires et autres de contrôle, réduit le risque de décisions favorisant les puissants au détriment des marginalisés.
C’est parce que les humains ont naturellement tendance à préférer l’uniformité à la différence et à privilégier le moi par rapport à l’autre que le pouvoir du gouvernement doit être maîtrisé à tous les niveaux.
Infaillibilité de l’humilité
Les politiciens vivent dans la peur constante de perdre leur poste. Il n’est donc pas surprenant qu’ils répugnent à admettre leurs erreurs. Tout aveu de faillibilité est perçu comme un signe de faiblesse. La réalité, cependant, est que tout le monde est faillible. Nous sommes tous des êtres humains limités. De plus, ce n’est pas seulement que nos capacités sont limitées : la nature de ces limitations nous empêche de réaliser à quel point nous sommes faillibles.
La tâche de gérer une grande société est très complexe. Néanmoins, les dirigeants politiques aiment prétendre que cette tâche est à leur portée. Les électeurs et les médias encouragent sans doute cet état d’esprit en fixant des normes irréalistes. Les politiciens prétendent être parfaits dans une mission qu’il est très difficile de faire même passablement bien.
La culture du déni de la faillibilité de nos dirigeants politiques alimente la complaisance à l’égard des principes constitutionnels. Si nos dirigeants étaient infaillibles, il y aurait peu de raisons de valoriser la séparation des pouvoirs et l’état de droit.
James Madison (quatrième président des états unis d’Amérique) a écrit que si nous étions gouvernés par des anges, « aucun contrôle externe ni interne du gouvernement ne serait nécessaire ». Malheureusement, nous ne vivons pas dans une communauté d’anges, mais dans une communauté d’agents humains.
Par conséquent, la seule réponse honnête à la faillibilité humaine est d’être humble quant à nos capacités. Nous devons reconnaître que nous sommes sujets aux erreurs et bien accueillir les conseils, l’assistance, voire, le contrôle des autres. La séparation des pouvoirs institutionnalise ce type de contrôle au niveau gouvernemental.
Les législateurs qui considèrent humblement leurs capacités ne devraient pas de soustraire leurs décisions au contrôle judiciaire en utilisant les raccourcis ou des passages en force constitutionnels. Ils ne devraient pas céder à déléguer de larges pouvoirs à l’exécutif sans contrôle judiciaire.
Les juges, pour leur part, devraient être ouverts à la réforme des processus de nomination, à l’élargissement du bassin de personnes nommées et à d’autres changements modestes. Aucune branche du gouvernement ne devrait s’accrocher au pouvoir ou résister à un contrôle raisonnable. Trop de pouvoir pour qui que ce soit est une chose dangereuse, comme l’a écrit Montesquieu. Les hommes peuvent avoir un désir naturel de pouvoir, mais un pouvoir illimité n’est pas quelque chose que nous devrions vouloir si nous comprenons pleinement l’étendue de notre faillibilité.
Notis©2022
Par Jonathan Crowe