Alors d’accord, pourquoi pas ? : voici un autre accord tenu, qui se heurta à une autre réponse, mais pas tout à fait la même, une note de basse différente, accompagnant et soutenant ce deuxième accord d’une nouvelle manière, comme pour dire « maintenant nous pouvons aller dans cette direction ». Je ne sais pas pourquoi, mais c’est à ce moment que pour la première fois je levai les yeux, et Gary sourit, rit et hocha la tête, comme pour dire «oh ouais mec, ça va être amusant». Ce fut effectivement le cas pendant les 37 années qui ont suivi.

Dire que Gary Peacock me manque n’est pas tout à fait exact. Gary était en paix avec lui-même, et m’a indiqué en nous disant au revoir, que ce pourrait bien être la dernière fois. Il parlait souvent de la façon dont le bouddhisme zen apprenait à accepter l’impermanence, et son approche de l’improvisation reflétait certainement cela. Alors peut-être que je me prépare moi aussi au départ. Peut-être que Gary m’a montré ça aussi. C’est l’heure de la séparation inexorable.

Gary Peacock a donné à cette musique, et à nous tous, quelque chose de très spécial jusqu’à ce qu’il ne puisse plus le faire, jusqu’au bout. Il voudrait, je pense, que nous ne nous concentrions pas sur son absence, mais que nous éprouvions plutôt la joie. Il nous laisse de la matière: toutes ces années de musique, une grande partie heureusement bien documentée et concervée.

La générosité de Gary Peacock irradie tous-azimuts, notamment dans: les trios avec Bill Evans, Keith Jarrett et Paul Bley; le bootleg de Vanguard avec le quintette Miles Davis, sans Miles; les distonsions sonores de sa contrebasse; les fantômes d’Albert Ayler; le quatuor avec Tomasz Stanko et les duos avec Ralph Towner, Bill Frisell et Marilyn Crispell. Et bien plus.