J’entrai pour le « soundcheck » (répétition), et voilà ce qui advint : Granelli, frappant sa batterie, installant son kit; et Gary, assis sur un tabouret, la tête baissée, ne levant pas les yeux, lançant des fusillades de lignes de feu rapides et des figures de sa contrebasse, les unes après les autres, d’une manière presque cavalière, sauf que chacune était un joyau, crépitant comme un éclair, chaque explosion surpassant la précédente. « Et, moi comment vais-je jouer avec ça? », me suis-je demandé.

Alors, voici ce que je fis: je m’assis au piano, je me penchai, mon nez non loin des touches, me cachant des deux monstres du jazz, et comme je ne pouvais pas les voir, ils ne pouvaient pas non plus me voir. Cela me procurait une certaine sécurité. Gary, ignorant le claquement de la construction de la batterie, continuait de bombarder l’atmosphère avec un assaut de folie sonore, un monologue passionné comme si Richard Burton faisait Shakespeare, sauf que tout semblait si facile. Il jetait avec désinvolture des cascades musicales incroyables. Cela ressemblait à un soliloque de sorcier, un tour de passe-passe, des choses que je ne savais pas que la contrebasse pouvait faire. « Il s’échauffe », pensai-je. Cela dura un peu, puis tout s’arrêta soudainement. Les tambours s’étant tu la contrebasse était étrangement silencieuse.

Dans le silence, après une pause, j’émis un accord. La tête toujours baissée, en appuyant sur la pédale, en jouant un accord luxuriant, pas très fort, en le soutenant avec la pédale forte. Cela semblait gentille. Une réponse suivit : une longue note de basse tenue, soutenant l’accord avec tendresse. L’ambiance était devenue complètement différente.