L’un des poètes britanniques les plus célèbres de l’époque victorienne, Alfred Lord Tennyson (6 août 1809 – 6 octobre 1892) a été le premier à utiliser cette phrase terrifiante et inoubliable pour évoquer le monde non sentimental décrit par la science darwinienne : « La nature, c’est du sang dans les dents et dans les griffes ».

Près de deux siècles plus tard, dans un livre intelligent, drôle et très passionnant, le professeur Ashley Ward remet en question cette conception sanguinolente de la nature, mettant l’accent sur l’importance vitale de la coopération ainsi que la concurrence dans tout le règne animal.

Les Vampires

Avant tout, il faut noter que les animaux coopérants se réunissent principalement pour . . . « exploiter, tuer et manger d’autres animaux ». L

a scène -décrite dès les premières pages du livre- dans les forêts tropicales du nord de Trinidad, est édifiante :  À la tombée de la nuit, les chauves-souris quittent leur repaire diurne, une maison abandonnée au fond des sous-bois, pour chercher du sang. N’importe quel mammifère endormi fera l’affaire, y compris les humains, bien que les chèvres semblent être les cibles préférées. « La chauve-souris se pose furtivement sur le sol et se précipite de manière disgracieuse vers sa victime, coupant à travers la peau dans la chair avec des dents en forme de scie. »

La chauve-souris vampire a un anticoagulant dans sa salive, donc le sang continue de couler, et elle peut engloutir un tiers de son poids corporel en sang en une nuit. Puis retourne à la maison avant l’aube.

Mais voici la coopération : toute autre chauve-souris de la colonie qui n’a pas réussi à trouver un repas sera nourrie par ses camarades chauves-souris, qui régurgiteront du sang pour qu’elle l’avale.

Pour la chèvre cependant, de tels exemples de « socialité » réconfortante, comme l’appellent les biologistes, peuvent être moins convaincants.

La Sociabilité

Il y a la riche vie émotionnelle des éléphants et leurs incroyables mémoire. Même les enregistrements de l’appel d’une femelle éléphant qui a quitté sa famille 12 ans plus tôt « ont été accueillis bruyamment par ses anciens associés », tandis que la simple odeur de leur mère chez certains éléphants de zoo adultes « a produit une réponse émouvante et sans équivoque. . . près de 30 ans depuis qu’ils se sont séparés d’elle ».

Cependant, il y a lieu de s’interroger sur la sociabilité spectaculaire d’un un essaim de criquets pèlerins. En effet, ce n’est guère une bonne nouvelle pour les agriculteurs de la Corne de l’Afrique, par exemple, dont les récoltes peuvent être dévastées en une seule journée.

Pire encore, explique Ward dans son livre, « profondément sinistre » est le fait que, en plus de manger des récoltes, les criquets voraces se mangeront entre eux avec enthousiasme. C’est la raison pour laquelle ils continuent d’avancer. Les criquets ne veulent pas que d’autres criquets se rapprochent trop près d’eux, ou « ils se font ronger les fesses ». C’est peut-être la révélation la plus « bizarre » du livre.

Le professeur Ward écrit magnifiquement, bien que parfois vous souhaitiez qu’il ne soit pas aussi vif. « Si vous êtes déjà resté éveillé la nuit en vous demandant à quoi ressemble la merde de baleine », écrit-il utilement, « laissez-moi vous éclairer ».

Et en une seule ligne, il peint tout un paysage naturel miraculeux que nous ne verrons jamais. Il décrit le krill – ces milliards de minuscules crevettes dont dépendent tant d’espèces et d’écosystèmes – comme s’élevant des profondeurs glacées de l’océan Austral où elles ont été pondues sous forme d’œufs, arrivant finalement sous la glace de la mer où « elles broutent les algues de la surface gelée comme des troupeaux de minuscules gnous renversés ».

La jungle

Encore et encore, les animaux du troupeau reflètent notre propre comportement humain, parfois inconfortablement. Tout comme nous, les animaux les plus sociaux et coopératifs peuvent se faire la guerre. Les fourmis et les termites sont en conflit acharné depuis des millions d’années, les fourmis envahissant l’une de ces termitières spectaculaires dans l’espoir d’emporter autant de larves que possible pour se nourrir.

Lors de leur première attaque, les termites donnent l’alerte en se cognant la tête contre les murs intérieurs de la butte, sur quoi les termites soldats se massent aux entrées de la forteresse, formant un cordon. « Les combats sont vicieux ; les pertes augmentent rapidement », les plus grosses fourmis s’attaquant directement aux termites, tandis que les plus petites tentent de se faufiler devant le cordon et de pénétrer à l’intérieur.

Les termites ouvriers utiliseront de la boue fraîche pour sceller leur propre reine dans sa chambre royale pour plus de sécurité, tandis que d’autres recourront à des tactiques de plus en plus désespérées pour chasser les fourmis.

Incroyablement, certains termites plus âgés peuvent se transformer en kamikazes : ils portent « une poche de cristaux bleus à base de cuivre sur le dos », et lorsqu’une fourmi attaquante mord dedans, il s’ensuit « une mini-explosion qui inonde les attaquants de nocifs produits chimiques ». Quant à ce qui se passe lorsque les fourmis amazones se heurtent aux fourmis formica, et que les reines elles-mêmes s’affrontent. . . c’est du pur film d’horreur.

Il en va de même pour la représentation de cachalots formant un groupe défensif pour combattre un nombre beaucoup plus grand d’orques agressifs. Une affaire longue et très sanglante…

L’Amour Vache

Pour se consoler, il y a les comportements plus attachants des vaches. Les jeunes génisses idiotes sont bien connues pour prendre des risques, explorer quelque chose de nouveau et souvent avoir des éraflures. « les vieilles vaches, elles, n’aiment vraiment pas les surprises », ce sont des créatures de routine et mettent beaucoup de temps à s’habituer aux étrangers.

Vous rappelez-vous d’autres espèces ? Nous sommes en effet nous-mêmes des animaux, des bêtes de troupeau, des « moutons » pour être plus précis et juste.

L’homme est capable du plus grand courage et de l’abnégation dans la défense des autres, mais comme l’a souligné le plus grand de tous les naturalistes, Charles Darwin, nous sommes aussi très facilement menés, manipulés et dominés : « L’assujettissement complet dépend généralement d’un seul (être-humain) animal ».

Si nous pouvons tirer des leçons de la nature (et cela est toujours discutable), cela signifie peut-être qu’au moins nous devrions choisir judicieusement nos dirigeants.

Notis©2022

Par Sidney Usher