Ils sont nombreux, les cadres d’entreprise qui, bien qu’occupant un poste prestigieux, aussi rentable qu’impopulaire, sont illettrés. Et ce malgré des études dans de grandes écoles (Inseec, HEC…), durant lesquelles ils n’ont  quasiment jamais écrit. Dans la vie active, à force de ne pas utiliser l’écriture, ils en ont perdu l’usage. Ces cadres contraints à la marge et au masque, ne maîtrisent pas suffisamment l’écriture et la lecture pour se faire comprendre ou pour assimiler un texte. Comment exercent-ils, alors que l’illettrisme constitue un obstacle évident à l’accès aux responsabilités ? Surtout, comment ces cadres, ces traders, ces managers, sont-ils passés entre les mailles du filet ?
Le contournement
La plupart des dirigeants illettrés sont d’excellents techniciens dans leur domaine qui masquent leurs difficultés à l’écrit par une grande aisance à l’oral. Au quotidien, pour donner illusion, ils mettent en place ces fameuses « stratégies de contournement » : Un collègue dans la confidence qui apporte son aide ou l’apprentissage des tâches par cœur, auxquels s’ajoutent, au cas par cas, toutes sortes de stratagèmes. Ces personnes n’ont jamais acquis les connaissances de base en lecture mais réussissent tant bien que mal à passer de classe en classe, sans jamais pouvoir vraiment y remédier, sans jamais s’approprié l’écrit. L’un d’entre eux raconte sa combine : « Quand je dois rédiger une formation, je ne le fais jamais dans l’urgence, je prends le temps de faire corriger, lance-t-il, un sourire en coin. Quand je suis au tableau, en animation, pas question de faire une faute ! Alors je répète toute la nuit avant d’y aller. Et, au cas où, j’ai toujours des antisèches avec moi… »
Le dépistage
Pour les cadres en situation d’illettrisme, le blocage à l’écrit provient le plus souvent d’un rejet psychologique. En refusant la lettre – non par incapacité –, ces personnes résistent à leur environnement familial ou scolaire. Selon les psychologues, c’est la manifestation d’une question, d’un problème, d’une souffrance par une attitude réfractaire. Le sujet se met en situation de refus de progresser par rapport à des apprentissages fondamentaux, à ses yeux survalorisés ou symboliquement surinvestis par l’environnement contre lequel il se défend. En clair : tout se joue dans la tête. Cette attitude se manifeste souvent chez des enfants dont les parents exercent une profession libérale ou intellectuelle et dans des milieux où l’écrit est essentiel. Il existe donc des cas d’illettrisme chez des personnes qui, d’un point de vue sociologique, ne sont pas destinées à le connaître. Leur statut social rend ces illettrés d’autant plus difficiles à dépister. Dans une démarche de détection classique, on demande aux responsables de repérer qui, dans leur équipe, est susceptible d’être touché. Mais comment cibler ces managers eux-mêmes ? Comment les amener à se déclarer, pour entrer en formation ?
Notis©2013
Sources : « Illettrismes et parcours individuels » par France Guérin-Pace
« Illettrisme, la France cachée » par JP Rivière