Les discriminations dont les femmes sont victimes au travail s’amplifie après leur départ à la retraite. Si les salaires féminins sont inférieurs d’un quart en moyenne à ceux des hommes, leurs pensions retraite de droit direct le sont davantage. Et pour cause : les femmes perçoivent en moyenne des rémunérations plus faibles (y compris à fonction et temps de travail égaux), travaillent de façon précaire et ont des carrières plus courtes en raison notamment des interruptions liées à l’éducation des enfants. Or salaire et durée de carrière sont les deux composantes principales du calcul de la pension retraite.

Système anti-redistributif

Le système de retraites et, plus globalement, la protection sociale ont été conçus il y a plus de 70 ans sur le modèle de l’homme soutien de famille, qui travaille à temps plein sans interruption et jouit de droits directs, et de la femme au foyer, qui bénéficie de droits dérivés de son statut d’épouse ou de mère. Le mode de calcul fondé sur cette norme désavantage les carrières courtes. Il aboutit à un effet globalement anti-redistributif qui va dans le sens d’un accroissement des inégalités en défaveur des assurés à carrière courte, donc des assurés à plus bas salaires, et des femmes tout particulièrement.

Certes, des dispositifs familiaux visent à compenser la pénalisation de carrière due à l’éducation des enfants. Ils permettent de réduire les écarts de pension. Mais cela reste insuffisant, et, surtout, ces mesures n’agissent pas sur la source des inégalités. Pis, elles les entretiennent, car elles enferment les femmes dans le rôle de mère. De plus, certains dispositifs ne sont attribués que s’il y a interruption d’activité. Cette conditionnalité incite à se retirer du travail, ce qui nuit à la carrière, puis… au calcul de la pension. Au bout du compte, les rôles sexués sont pérennisés ; les femmes se voient attribuer des droits complémentaires au détriment de leurs droits directs.

Obstacles rédhibitoires

Certes, au fil du temps, à la faveur d’une plus grande participation féminine au marché du travail et d’une qualification croissante, les différences s’amenuisent. Mais les réformes menées depuis vingt ans contrecarrent cette tendance historique. Et leurs effets n’ont pas fini de se faire sentir. Ainsi, l’allongement régulier de la durée de cotisation exigée pour une pension à taux plein pèse davantage sur les carrières courtes. La décote en cas d’insuffisance du nombre de trimestres travaillés frappe davantage les femmes que les hommes.

En finir avec le modèle patriarcal

Une politique cohérente en faveur de l’égalité doit favoriser l’évolution vers un système de protection sociale qui rompe avec le modèle patriarcal. Cela implique non pas d’étendre les droits dérivés pour les femmes, mais de renforcer leurs droits directs à une pension. C’est d’autant plus nécessaire que, le nombre de mariages diminuant, les personnes mariées ou veuves ne seront bientôt plus majoritaires parmi les retraités. Les célibataires, divorcés ou séparés, sans ou avec peu de droit à une pension de réversion, seront beaucoup plus nombreux, et surtout plus nombreuses. Seuls des droits directs assureront leur autonomie.

Il est donc indispensable de mettre en œuvre des politiques de lutte contre les discriminations professionnelles, d’inciter les pères à s’investir à égalité dans la vie domestique et de développer les crèches. Prendre en charge la petite enfance est plus efficace, à budget donné, que compenser a posteriori la pénalisation de la carrière des femmes. Il faudrait ainsi réorienter progressivement une partie du montant des dispositifs familiaux, et les réduire ensuite, au fil des générations, à mesure que de telles politiques publiques produiraient leurs effets et diminueraient les pénalités de carrière à compenser.

Notis©2014

Sources :
*« Retraites, l’alternative cachée (Attac – Fondation Copernic, Syllepse 2013) par Christiane Marty.
* « Les retraités et les retraites, 2013» (Drees) ;
* « The gender gap in pensions in the EU », Commission européenne, Bruxelles, juillet 2013.