Google, Amazon, eBay, Facebook, Yahoo!… brassent d’incommensurables bénéfices qui débouchent paradoxalement sur de très faibles impôts. Cette faible imposition des géants du Web au regard de leur activité réelle est aujourd’hui un sujet de préoccupation et d’agacement pour les Etats soucieux de renflouer leur caisse afin de faire face à la crise qui dure. «  Cette situation est sans précédent historique », affirme un rapport rédigé par deux spécialistes de la finance publique, Pierre Collin et Nicolas Collin. Cette étude, rendue public ce vendredi 18 janvier 2013, présente des propositions pour appréhender fiscalement le trésor du numérique.

Activités insaisissables

La difficulté des Etats à taxer les profits des entreprises du numérique a plusieurs causes :

*Leurs activités sont d’abord en perpétuelle évolution, «  de sorte qu’il est difficile d’y identifier des points de stabilité, y compris pour asseoir un impôt », juge le rapport.

*Elles dissocient ensuite presque systématiquement le lieu d’établissement du lieu de consommation. Elles peuvent ainsi facilement transférer leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.

*Et elles «  sont d’emblée organisées en vue de tirer le meilleur parti des différences de systèmes fiscaux ».

Résultat : la richesse créée est difficile à localiser, et à fiscaliser.

Manne de données

Outre leur faible niveau d’imposition, le point commun des grandes entreprises du numérique est leur capacité à exploiter les données, celles que les utilisateurs saisissent volontairement mais aussi toutes les « traces » qu’ils laissent derrière eux lorsqu’ils naviguent sur Internet. Ces données sont «  la ressource essentielle de l’économie numérique » et son principal levier de rentabilité, concluent les auteurs.

Dès lors, ils préconisent d’agir à deux niveaux. D’abord à l’échelon international, en redéfinissant la notion d’ « établissement stable » de l’OCDE, sur laquelle est fondée toute la fiscalité des entreprises des pays membres. Le rapport propose d’y inclure ce qu’il nomme le « travail gratuit » des utilisateurs qui, en fournissant leurs données, forment une source de revenus stratégique pour les entreprises du numérique. L’OCDE ayant déjà engagé des travaux sur la taxation des multinationales, cette piste pourrait aboutir assez rapidement, entre 2013 et 2014.

Inciter au civisme et à la transparence

En attendant l’instauration d’un instrument juridique global sur la taxation des multinationales, les auteurs du rapport suggèrent de légiférer au niveau national, en proposant une fiscalité fondée sur la collecte et l’exploitation des données au niveau national. Celle-ci devra être « incitative » et non conçue dans un objectif de rendement budgétaire. L’idée est de moduler l’impôt pour inciter les entreprises à la transparence et à la vertu. Seraient favorisées les entreprises respectant la protection des libertés individuelles, celles qui informent les consommateurs en leur permettant, par exemple, d’accéder aux données qui les concernent. Les auteurs préconisent aussi d’adapter au numérique les dispositifs encadrant la recherche et l’innovation, comme le crédit d’impôt recherche et le statut de jeune entreprise innovante.

Ces propositions posent toutefois plusieurs difficultés, notamment en matière de contrôle par l’administration des données taxées. Le fisc a-t-il les outils adaptés ? Ne faut-il impliquer d’autres acteurs de la vie publique : autorités administratives indépendantes et autres associations  de protection de libertés individuelles et des consommateurs? Le pouvoir accru (lobbying) des multinationales concernées n’est-il pas un mur rédhibitoire?

Notis©2013