Et si faire face au changement climatique signifiait plus qu’un simple coup d’interrupteur ? Nos amis du monde industrialisé penseraient-ils différemment si les effets du changement climatique étaient pires que les mois d’été prolongés et l’arrivée d’espèces exotiques ?

Adoubés et choyés, ils ont eu le luxe de fermer leur esprit à l’impact réel de ce qui se passe dans l’atmosphère fragile et précieuse qui entoure la planète sur laquelle nous vivons. Là où le changement climatique s’est produit dans le monde industrialisé, les effets ont été jusqu’à présent relativement bénins. À l’exception d’événements tels que l’ouragan Katrina en 2005, les habitants d’Amérique du Nord et d’Europe n’ont ressenti qu’une douce caresse du vent du changement.

Je me demande à quel point ils pourraient être plus anxieux s’ils dépendaient du cycle de mère nature pour nourrir leur famille. À quel point leurs inquiétudes seraient-elles plus grandes s’ils vivaient dans des bidonvilles et des cantons, dans des maisons en terre battue ou des abris faits de sacs en plastique ?

Dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne, c’est une réalité. Les pauvres, les vulnérables et les affamés sont exposés aux rudes effets du changement climatique chaque jour de leur vie.

La fonte des neiges sur le sommet du Kilimandjaro est un avertissement des changements en cours en Afrique. Sur ce continent magnifique mais vulnérable, les gens ressentent déjà le changement climatique.

Mais pluie ou sécheresse, le résultat est le même : plus de faim et plus de misère pour des millions de personnes vivant en marge de la société mondiale. Même dans des endroits comme le Darfour, le changement climatique a joué un rôle. Dans les zones semi-arides du monde, la concurrence pour l’accès aux pâturages et aux points d’eau est féroce. Là où l’eau est rare et les populations croissantes, les conflits ne seront jamais loin derrière.

Dans tant de pays où vivent les plus pauvres, les gouvernements sont mal équipés pour faire face. Katrina était un défi pour les États-Unis, alors pourquoi devrions-nous être surpris que la saison cyclonique annuelle au large de la côte-est de l’Afrique continue de pousser les gouvernements du Mozambique et de Madagascar à leurs limites ? Là où les gouvernements sont faibles, la dépendance vis-à-vis des agences humanitaires est plus grande.

Les personnes qui travaillent pour des organismes tels que le Programme alimentaire mondial des Nations Unies découvrent que leur travail est une « industrie de croissance » humanitaire. En effet, le nombre de personnes qui savent ce que c’est que d’avoir faim s’élève à plus de 850 millions, et ils continuent de croître de près de 4 millions par an. La fréquence croissante des catastrophes naturelles rend la lutte contre la faim encore plus difficile.

La Banque mondiale estime que le nombre de catastrophes naturelles a quadruplé, passant de 100 par an en 1975 à 400 en 2005.

Au cours des 10 dernières années, 2,6 milliards de personnes ont souffert de catastrophes naturelles. C’est plus d’un tiers de la population mondiale – la plupart d’entre eux dans le monde en développement.

L’impact humain est évident, mais ce qui n’est pas si évident, c’est dans quelle mesure les événements climatiques peuvent annuler les gains de développement mis en place au fil des décennies. Les sécheresses et les inondations détruisent des vies, mais elles détruisent également des écoles, des économies et des opportunités.

Chaque enfant se souviendra de l’histoire des trois petits cochons et du grand méchant loup. Dans le monde dans lequel nous vivons, le méchant loup du changement climatique a déjà saccagé la maison en paille et la maison en bois. Du coup les habitants de ces maisons frappent à la porte de la maison en briques où vivent les habitants du monde développé. Nos amis là-bas devraient y penser la prochaine fois qu’ils toucheront l’interrupteur du thermostat. Ils devraient se rendre compte que si les problèmes de l’agriculteur mozambicain peuvent sembler lointains, il ne faudra peut-être pas longtemps avant que leurs problèmes n’échoient sur leurs côtes.

Notis©2022

*par Desmond Tutu

Traduit par Mary Maz