L’engagement, le courage et l’ingéniosité définissent la carrière de Lakecia Benjamin. Sa forte volonté, sa chaleur et sa spontanéité humaine transparaissent dans son traitement du Saxophone Alto.

À la fois mélodique et affirmée, sa sonorité est enracinée dans la tradition, mais suffisamment dense pour englober le R&B et la musique latine. Son goût prononcé pour le Funk est la preuve indiscutable de ses allégeances au Hip-hop et à la Danse Urbaine.

Étoile  montante du jazz depuis 2010, « Kecia » a atteint une nouvelle vitesse de croisière en 2020 après la sortie de son « Pursuance : The Coltranes », un album salué pour son approche rafraîchissante du Jazz Contemporain et de la Musique Spirituelle.

En dépit des blessures d’enfance et accidents de la vie adulte, rien n’a pas pu ternir la détermination de cette « Petite Géante » de la Musique Vivante.

Le voyage

Lakecia Benjamin a posé ses premiers pas dans le jazz, un monde longtemps dominée par les hommes, lorsqu’elle a dit à son professeur d’art de son école primaire qu’elle voulait jouer du saxophone alto avant même de savoir ce qu’était cet instrument.

Impassible, la jeune « kecia » parvint à décrocher une inscription pour  fréquenter de prestigieuses écoles de musique, telles que la « Harlem School of the Arts », puis la « Fiorello H. LaGuardia High School of Music & Art and Performing Arts, où elle étudia le saxophone auprès du multi-souffleur, Patience Higgins.

Plus tard, en tant qu’étudiante à la « New School, » elle assista après les cours à des concerts des maitres du saxophone alto, comme Gary Bartz chaque fois qu’ils venaient prester dans la ville. Benjamin a dit qu’elle a convaincu Gary Bartz de lui donner « une petite leçon », ce qui l’a amenée à lui apprendre à jouer de la musique classique. À partir de là, Lakecia étudia avec d’autres saxophonistes renommés – Vincent Herring, Bruce Williams, Jerome Richardson et Steve Wilson – absorbant tout ce qu’elle pouvait sur l’instrument : « J’appelais Kenny Garrett, tout le monde,  et leur disais «Hé, pouvez-vous m’apprendre ?… »

L’énergie cyclonique

Lakecia Benjamin possède un jeu d’acier au Saxophone Alto. Avec son arsenal et sa volonté farouche, la jeune femme déchaîne et enchaine des improvisations volcaniques qui lui font ressembler à quelqu’un qui essaie de transmettre un maximum d’informations cruciales en peu de temps.

L’écrivain, Mark Ruffin, qui connait bien Lakecia Benjamin, pour avoir travaillé avec elle, dans le cadre de la production d’un album de la chanteuse Charenée Wade intitulé « Offering: The Music Of Gil Scott-Heron And Brian Jackson » (Motéma), l’a surnommé « La Petite Géante », à cause de sa rage de jouer -semblable au jeu du saxophoniste Johnny Griffin- et sa sonorité hors norme.

« C’est Lakecia ! Elle est peut-être de petite taille, mais elle a un son incroyablement gros, chaud et direct. Elle crache du feu dans chaque solo que j’ai entendue d’elle », a-t-il déclaré.

La musicalité de Lakecia Benjamin, comme le témoigne sa discographie naissante, ne se limite pas au Jazz. Elle a également apporté sa pierre à des architectes du hip-hop, tels que Pete Rock, DJ Premiere et Missy Elliott, ainsi qu’à des icônes du r&b, tels que  Stevie Wonder et Alicia Keys.

La batteuse Terri Lyne Carrington, qui a rencontré Lakecia Benjamin en été 2010, alors qu’elle était en tournée pour la promotion de son album « The Mosaic Project » a fait l’éloge de cette polyvalence musicale : « Lakecia capture l’essence du jazz, du blues et du r&b traditionnels, sans jamais abandonner l’importance et les caractères essentiels des genres, tout en embrassant en même temps leur évolution, tout en parlant de ce qui est pertinent aujourd’hui. Sa sonorité est claire, urgente et émouvante ».

L’accident

En septembre 2021, Lakecia Benjamin rentrait chez elle après un concert à Cleveland lorsque sa voiture a fait une sortie de l’autoroute, a traversé une zone boisée et s’est renversée dans un fossé.

« Je me suis réveillé la première fois que quelqu’un m’a sorti de la voiture, essayant de l’ouvrir », a déclaré Benjamin. « Puis je me suis réveillé à l’hôpital sur une table d’opération et ils m’ont dit : ‘’Ça va aller’’. Je ne savais pas ce qui s’était passé ni ce qui se passait. »

L’accident a laissé la native de Washington Heights avec trois côtes cassées, une omoplate fracturée, un tympan perforé, une commotion cérébrale, des dommages neurologiques et – le pire de tout – une mâchoire cassée, un coup sévère à tout joueur d’instrument à vent, sans parler de l’intensité de la douleur physique.

Sans se laisser décourager, Benjamin est allé en Europe à peine trois semaines plus tard, invoquant en quelque sorte la force de jouer des chansons de son album de 2020, « Pursuance: The Coltranes », un projet dédié au jazz astral des âmes créatives de John et Alice Coltrane.

Comment s’en est-elle sortie ? « Un peu en prenant des Hauteurs », a-t-elle repondu, faisant allusion à sa ténacité. «Un peu de serrage et de maintien sur l’embout buccal. Je pense vraiment que j’ai eu de la chance de jouer la Musique de John Coltrane. Cette énergie et ce message était un tout ou rien ».

Le phénix

Le traumatisme de cet accident raisonne encore dans la tête de l’artiste au point s’encrer dans son album, « Phoenix », paru le 20 janvier 2023. C’est un vaste ensemble labyrinthique d’arrangements qui s’ouvre avec la composition phare, « Amerikkan Skin », une chanson introduite par le gémissement des sirènes des véhicules d’urgence. « Au lieu de commencer musicalement, j’essaie de mettre le public dans un état d’esprit, une sorte de frénésie, cette agitation que j’ai ressentie en sortant de la voiture », a-t-elle expliqué.

En incorporant des coups de feu échantillonnés dans le mix, « Amerikkan Skin » (la couleur de l’Amérique) rappelle également les tensions sociales et raciales de ces dernières années. « Les Noirs le traversent », a déclaré Benjamin. «Les gens de la basse classe le vivent. Tout le monde traverse quelque chose. »

Mettant en vedette la militante des droits civiques Angela Davis, la poète Sonia Sanchez, le pianiste et chanteur de R&B Patrice Rushen et le saxophoniste Wayne Shorter, l’album examine à la fois les nuances de la « Négritude » (made in USA) et met l’accent sur les contributions des femmes à la Culture Américaine. « L’espoir révolutionnaire réside précisément parmi ces femmes qui ont été abandonnées par l’histoire », déclare Davis. « Je crois vraiment, et les hommes devraient l’apprécier, que nous sommes dans l’ère des Femmes. »

Lakecia Benjamin enseigne également le Jazz au programme «Jazz for Young People» du Lincoln Center et au KIPP AMP Middle School de Brooklyn. L’un de ses aspirants étudiants craignait de rentrer de l’école à pied avec un étui de saxophone ; il craignait que les policiers ne le confondent avec une arme à feu. Benjamin a vite appris que de nombreux étudiants en musique partageaient la même peur. « Alors, je voulais faire passer un message à tous ces enfants qui craignaient de se faire tirer dessus et de mourir : Survivre n’est pas prospérer »

Notis©2023

Par Sidney Usher