Dans un livre de 304 pages, «  Fabrique du mensonge », Stéphane Foucart, journaliste spécialiste de l’environnement, met à nue l’imposture orchestrée au niveau mondial et dissèque les scandales sanitaires provoqués par les multinationales : Tabac, OGM, réchauffement climatique, amiante, pollution…. Le résultat est impressionnant de rigueur. Il fait aussi froid dans le dos, à énumérer ainsi des travaux qui n’ont de scientifique que le nom. Avec un souci du détail et un effort objectivité, l’auteur montre à quel point la science est aujourd’hui gangrénée par des enjeux économiques qui la dépassent parfois et lui font perdre sa crédibilité.

« L’achat » des consciences

Les cigarettiers ont commencé à « se servir » de la science dès le début des années 1950, au moment où étaient publiés les premiers articles scientifiques évoquant des liens entre consommation de tabac et cancer du poumon. Un communiquant de génie, John Hill, a soufflé aux cigarettiers l’idée de financer de la recherche académique classique. Ces derniers ont donc créé une agence ad hoc, le CTR (Council for tobacco research) qui a, au total, investi près de 500 millions de dollars en 40 ans! La prise en charge de ces financements par les industriels ne vise qu’un but : orienter la recherche. Plus exactement, pour retirer aux chercheurs la possibilité de déterminer, par eux-mêmes, l’objet de leurs travaux. Concrètement, cela consiste par exemple à financer tout ce qui permettra de suggérer que les cancers ne sont pas uniquement dus à la cigarette.  Leur stratégie consiste à rémunérer des travaux sérieux, puis à se servir des résultats obtenus dans une mécanique de communication. Dans le cas du tabac, cela va de la pollution intérieure au radon, en passant par les prédispositions génétiques et l’alimentation. Plus on suspectera d’autres facteurs que le tabac, plus les industriels s’en serviront.  Certaines pratiques sont discutables, voire carrément crapuleuses. Les cigarettiers ont ainsi « arrosé » la recherche mondiale, et en particulier la recherche américaine. Rémunérations privées, versements effectués par le biais de sociétés écran, appel à des cabinets d’avocats, tout est bon. L’idéal pour eux, c’est de recruter un scientifique qui va peu à peu gravir les échelons pour se poser en expert reconnu et infiltrer les organismes officiels – Agences de sécurité sanitaire, groupes de travail parlementaires ou même postes techniques au sein du gouvernement.

Lobbying tous azimuts

Des boites de communication embauchent des Internautes pour diffuser des messages orientés sur la Toile, et visant à mettre en doute des données pourtant incontestables. De ce point de vue, Internet est tout autant un remède – parce qu’on y trouve quantité d’informations – qu’un poison – parce qu’elles sont parfois manipulées.  Plus fort encore, les industriels créent leurs propres outils pour évaluer les risques liés à leurs activités. Avec le cas des insecticides qui provoquent la mort des abeilles, ils ont réussi un vrai tour de force. En noyautant la plupart des organisations intergouvernementales, les industriels sont à la fois juge et partie. Finalement, les industriels ont imposé l’idée – fausse – que toute science qui régule l’innovation n’est pas de la « vraie » science. Ainsi, les scientifiques qui s’intéressent au climat (géochimistes, physiciens, océanographes….) sont présentés par ces lobbies comme des militants, des écologistes, pas des scientifiques rigoureux.

Reste que c’est la science dans son ensemble qui perd sa crédibilité, face aux enjeux économiques ou politiques.  Tout cela laisse un profond sentiment de gâchis et d’injustice.

Notis©2013

Sources : La fabrique du mensonge. Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger (Editions Denoël), par Stéphane Foucart