En 1964, Thelonious Sphere Monk apparaissait sur la couverture du magazine Time. Ce fut un fait exceptionnel et remarquable pour un homme Noir ayant atteint l’âge de la maturité. Ce pianiste virtuose dont la technique et les compositions commençaient à peine à émouvoir l’attention au-delà des fans de Jazz, avait passé la plupart du temps de sa carrière de près de 15 ans dans une relative obscurité. La couverture du « Time » semblait donc marquer la fin d’une époque.

De la même veine que la une du premier ministre britannique, Winston Churchill, et de l’acteur de cinéma, Clark Gable, il ne s’agissait pas simplement d’une photo, mais d’un véritable portrait peint: le profil de Monk dans un chapeau à plumes, un regard, majestueux à la fois proche et lointain, comme s’il veillait sur les sujets de son empire.

« The Preacher »*

Le New York que le documentaire « West Side Story » a filmé dans ses rues, est le sol à partir duquel Thelonious Monk a prit son envol. Sa famille déménagea de la Caroline du Nord quand il avait juste 4 ans, scellant son destin de citoyen New-Yorkais.

Enfant calme mais confiant, Monk est tombé immédiatement amoureux du piano et a pris des leçons à bas prix au centre communautaire. Il a bravé les interdits pour marquer à la culotte des musiciens locaux ou de passage.

Il avait 13 ans quand il fut enrôlé par la prestigieuse Stuyvesant High School, mais abandonna les cours pour accompagner un prédicateur itinérant.

Contrairement au jazzman qui se déplace au nord avec un boitier (de leur instrument) et un rêve (de richesse), Monk, lui, était, presque à la naissance, un casanier, un homme tout à fait à l’aise dans le tempérament dense et sardonique de Manhattan. Il prenait déjà ses marques dans le boogie woogie à la fin de son adolescence. Maître du piano stride, il a forgé sa sonorité à partir du matériel laissé par Jelly Roll Morton et James P. Johnson, des pianistes qui incitaient plus à la danse qu’à l’écoute.