Afin d’avoir un éclairage sur les modes alternatifs de résolution des litiges (MARL), nous avons interrogé Maître François Abondio. Ce « ténor » de la pratique du Droit international est le Secrétaire Général de la Cour d’Arbitrage de Côte d’Ivoire (CACI). Dans cette entrevue, Maitre François Abondio nous fait partager sa passion pour les MARL qui « marchent » ailleurs, mais éprouvent quelque difficulté à s’intégrer dans le paysage économique de son pays, la Côte d’Ivoire.

Notis : Les modes alternatifs de règlement des litiges (MARL) pour faire quoi ?

Me ABONDIO : Pour soustraire le litige à la compétence des tribunaux étatiques trop surchargées, trop lentes et trop incertaines.

Le pouvoir de rendre la justice appartient à l’Etat.

C’est pour cela qu’il a créé un système judiciaire, formé des juges, et les a installés dans des juridictions pour rendre la justice au nom du peuple.

Devant le prodigieux développement des activités économiques et financières engendrant plus de complexité et de technicité et où le temps, la confidentialité et l’impartialité sont devenus une demande pressante, l’Etat a concédé une partie de son pouvoir de juger à des ‘’privés’’ qui se sont organisés pour rendre la justice en dehors des juridictions d’Etat, et ce en toute légalité.

L’Arbitrage, la Médiation et la Conciliation sont alors devenus des modes alternatifs de règlement des litiges, ou une alternative aux juridictions étatiques.

Des institutions comme la CACI ont alors été créées pour organiser une justice plus rapide, plus confidentielle, plus feutrée, moins belliqueuse, plus technique et moins incertaine. Ce mode de règlement est devenu un gage de sécurité des investissements aussi bien nationaux qu’étrangers.

●Notis : Quels genres de litiges peuvent être réglés par les MARL ?

Me ABONDIO : Tous les litiges aussi bien commerciaux que civils.

L’acte uniforme sur le droit de l’arbitrage du 11 mars 1999 constitue la législation commune des ETATS Membres en matière d’arbitrage.

Le droit OHADA de l’arbitrage applicable en Côte d’Ivoire ne fait aucune distinction entre l’arbitrage civil et l’arbitrage commercial.

Les MARL sont donc ouverts aussi bien aux sociétés qu’aux personnes physiques.

Mais dans la pratique ce sont les sociétés qui utilisent le plus les modes alternatifs de règlement des litiges.

la médiation

●Notis : Si les MARL sont essentiellement composés par la médiation et l’arbitrage,  qu’est-ce que la médiation ?

Me ABONDIO : La médiation est un mode amiable de règlement des litiges par lequel un tiers indépendant, neutre et impartial, formé à la médiation, désigné (le médiateur), aide les parties à trouver une issue négociée à leur différend, par l’adoption d’une solution consensuelle satisfaisante pour chacune d’elles.

La médiation implique des négociations directes entre les parties avec l’intervention du « médiateur ».

Une médiation efficace génère un rapport gagnant/gagnant pour les parties en conflit.

Notis : Quels sont les avantages de la médiation ?

Me ABONDIO : Les avantages qu’il y a à recourir à la médiation pour le règlement des litiges sont :

– Eviter un tribunal et un long procès

– Maintenir et renouer les relations d’affaires entre les parties

– Trouver une solution rapide à un coût intéressant et dans des délais rapides

La médiation prend fin par la conclusion d’un accord, ou par le constat d’un désaccord.

●Notis : Quand les parties avec l’aide du médiateur se sont entendus, que se passe-t-il ?

Me ABONDIO : Quand les parties ont trouvés un accord ils rédigent avec le médiateur un protocole matérialisant cet accord :

La partie la plus diligente peut pour se prémunir contre une mauvaise foi éventuelle de son adversaire requérir le juge étatique en vue d’homologuer ledit accord. Le juge prend acte de l’accord de médiation et lui donne la force exécutoire. Le protocole d’accord pourra donc être exécuté comme un jugement.

●Notis : Et lorsqu’il n’y a pas eu d’accord ?

Me ABONDIO : Quand il n’y a pas eu d’accord les parties peuvent saisir le tribunal arbitral ou le tribunal étatique pour trancher leur litige.

●Notis : Comment saisir la CACI pour une demande en médiation ?

Me ABONDIO : Les MARL sont des procédures consensuelles c’est-à-dire que pour solliciter la CACI en vue de mettre en place une procédure de médiation ou d’arbitrage, il faut que les deux parties le demandent, à défaut, la médiation CACI ne peut pas être mise en œuvre. C’est pour cela qu’il est conseillé au moment de la conclusion de tout contrat d’insérer au chapitre ‘’Attribution de compétence’’ une clause compromissoire désignant la CACI comme institution compétente pour régler tout litige né de l’interprétation ou l’exécution dudit contrat et ce par la médiation et en cas d’échec par l’arbitrage CACI.

●Notis : La technique de la médiation comme mode de règlement des litiges marche bien en CI ?

Me ABONDIO : Non, pas encore. La médiation est très peu utilisée par les opérateurs économiques et ce par ignorance. En fait les MARL ainsi que la CACI ne sont pas encore connu du public.

Il y a un véritable travail de médiatisation à faire auprès des opérateurs économiques et des particuliers pour faire connaître ces nouveaux modes de règlement des litiges parce que c’est l’avenir. La médiation connaît sous d’autres cieux un développement important parce que le leitmotiv aujourd’hui est de ‘’déjudiciariser’’ les litiges à cause de l’engorgement des tribunaux étatiques.

La CACI va donc s’atteler à cette tâche de promotion des MARL.

●Notis : Après la médiation qu’est-ce que l’arbitrage ?

Me ABONDIO : Alors que la médiation est un mode amiable de règlement de litige, l’arbitrage est un mode contentieux et juridictionnel de règlement de conflit.

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Notis : Quelle est la différence ?

Me ABONDIO : En médiation les parties essaient de trouver un arrangement avec l’aide d’un médiateur.

En arbitrage il y a un contentieux qui est né et les parties sollicitent un tribunal arbitral pour trancher le litige par un jugement (une sentence) qui aura la même force qu’une décision rendue par un tribunal étatique.

●Notis : Mais plus précisément qu’est-ce que l’arbitrage ?

Me ABONDIO : Juridiquement l’arbitrage se définit comme un mode privé de règlement de litige par lequel les parties confient à une ou plusieurs personnes privées (arbitres) librement choisies par elles l’examen de leur différend.

● Notis : Qu’est ce qui caractérise l’arbitrage ?

Me ABONDIO : l’arbitrage est essentiellement ‘’consensuel’’.

Ainsi la clause compromissoire insérée dans le contrat de base est la convention par laquelle les 2 parties acceptent de soumettre leur litige à venir au règlement CACI. Sans cet accord la CACI ne peut connaître du différend.

Ce qui veut dire qu’une seule partie ne peut pas actionner une procédure à la CACI, il faut impérativement les 2 parties, d’où l’importance de la clause compromissoire à insérer dans le contrat dès sa rédaction.

A partir de ce moment, s’il y a un litige, la CACI est compétente et ce sont les parties

Qui choisissent le ou les juges (arbitres) (ils sont un au moins et 3 au plus)

Qui délimitent les pouvoirs des arbitres (soit statuer en droit ou en équité)

Qui décident du droit applicable au fond et de la langue de l’arbitrage

Qui peuvent décider du temps imparti au Tribunal Arbitral pour statuer.

Notis : Que se passe-t-il au cours de l’instance ?

Me ABONDIO : Au cours de l’instance qui n’est pas publique les parties, peuvent être représentées par des avocats qui déposent des écritures et plaident devant le Tribunal arbitral.

Dans un délai de six (06) mois maximum le Tribunal Arbitral rend une sentence (jugement).

● Notis : Quelle est la force de la sentence arbitrale ?

Me ABONDIO : Les décisions qui sont rendues sous l’égide de la CACI ont la même valeur juridique que celles des tribunaux étatiques.

Ainsi la sentence a autorité de chose jugée mais n’est pas revêtue de la force exécutoire.

En cas d’exécution forcée il faut saisir le juge étatique en référé pour donner à la sentence la force exécutoire. C’est une procédure rapide pour permettre une exécution rapide de la sentence.

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● Notis : La sentence peut-elle être frappée par les voies de recours habituelles c’est-à-dire l’appel et le pourvoi en cassation ?

Me ABONDIO : Non la sentence n’est pas susceptible d’appel ni de pourvoi en cassation et les parties prennent toujours l’engagement écrit d’exécuter amiablement et de bonne foi la sentence qui sera rendue. Cependant il est bon de préciser que la sentence peut faire l’objet d’un recours en annulation dans six cas bien précis. Le fond du litige n’est jamais évoqué par la juridiction qui connaît du recours en annulation, ladite juridiction se limite à vérifier si le motif invoqué pour solliciter l’annulation fait partie des six cas prévus par la loi et s’il est fondé.

● Notis : Pensez-vous que les MARL vont s’imposer un jour prochain en CI comme alternative à la justice étatique ?

Me ABONDIO : bien sûr, les MARL ont fait leurs preuves ailleurs. Il en sera de même en Côte d’Ivoire car ce sont des outils importants pour l’amélioration du climat des affaires.

Notis©2013