Confucius (551-479 avant J.-C.), ministre et conseiller de princes Chinois, est, semble-t-il, le premier à avoir explicité le rôle du chef comme garant du symbolique, à la fois dans sa fonction de construction de la continuité identitaire (l’importance des rites) et dans sa fonction de communication entre les hommes d’une même communauté (le prince est garant de la codification du langage).

Le principe est que dans toute organisation, chaque poste a des caractéristiques propres et pose une problématique spécifique.

Pour ce qui est de la responsabilité, tout détenteur du pouvoir serait face à trois problématiques majeures :

*son rapport à la tâche stratégique ;

*son rapport au système social ;

*et son rapport aux structures du pouvoir.

La tâche stratégique

Diriger, c’est choisir. C’est bâtir des stratégies, c’est-a-dire, sélectionner des champs de bataille, décider d’objectifs, établir des priorités, rechercher l’adéquation des moyens et des fins. Cela ne peut se concevoir sans une compréhension fine de la dynamique des forces de l’environnement, du monde pertinent.

L’art du stratège, c’est de profiter de la dynamique du moment, de comprendre la vague qui porte et d’anticiper les écueils possibles. On peut penser, qu’en cela, les outils d’aide à la décision stratégique seront d’un grand secours. C’est vrai, mais un leader authentique se caractérise toujours par la marque personnelle qu’il imprime : il transcende les outils, car son génie est de comprendre la dynamique sous-jacente, de la faire sienne et d’en extraire un projet personnel qui deviendra un projet collectif.

Beaucoup de leaders potentiels en sont empêchés par le souci de leur carrière, ou par une vision géographique trop étroite, ou par leur difficulté psychique à admettre la pluralité des stratégies possibles dans un univers donné.

Le rapport au système social

Diriger, c’est conduire une action collective, c’est faire en sorte que l’édifice improbable et précaire que constitue toute entreprise produise de la collaboration et de l’action, plutôt que des forces centrifuges ou du repliement sur soi.

Dans le discours, c’est facile : il n’y a qu’à parler de valeurs communes. Dans la réalité, c’est infiniment difficile. La concurrence est plus naturelle que la collaboration.

L’entreprise est un monde d’associés rivaux, qui ont le plus souvent établi des équilibres de pouvoir difficiles a comprendre si l’on se contente d’un regard superficiel. Pour le dirigeant, cette tache est sans doute encore plus complexe que la précédente.

Comprendre et diriger un système social pose le problème de la bonne distance à adopter. Trop de distance, et l’on n’a pas accès a l’intime, on se coupe du réel, on n’a plus d’existence aux yeux des gens ; trop peu de distance, et l’on s’identifie, on s’englue dans le quotidien, on perd en légitimité par excès de familiarité, on devient prisonnier d’une culture qu’on ne peut plus changer. Les relations interpersonnelles au quotidien constituent un aspect privilégie de ce rapport au système social.

Dans une organisation, tout le monde sait comment le patron se comporte face a autrui, que ce soit sur les scènes privilégiées (comité exécutif, comité d’évaluation, relations avec les représentants du personnel) ou les scènes banales (cantine, visites de site, rencontres dans les couloirs, etc.).

Le rapport au pouvoir

On ne dirige jamais, ni politiquement seul, ni dans l’univers éthéré des idées. Diriger, c’est maîtriser suffisamment de ressources pour assurer une certaine stabilité aux relations de pouvoir. Si elles sont instables, la politique s’installe et la stratégie ne peut plus s’accomplir.

Pour le dirigeant d’une organisation, les relations de pouvoir et la constitution d’équilibres se situent en général à deux niveaux : par rapport aux représentants des actionnaires, et par rapport à une coalition interne.

Il est rare qu’un dirigeant n’ait pas à rendre compte à une instance supérieure. Il est rarissime que celle-ci considère qu’il lui incombe d’aider directement le dirigeant dans l’accomplissement de son travail. Le plus souvent, elle est distante, peu intéressée par le terrain, mais attentive aux résultats chiffrés ou, pire, aux incidents qui peuvent se produire.

Lorsque la tutelle est l’Etat, c’est pire encore : soumise au politique, raisonnant à court terme, elle est capable de sottise et d’injustice. Les coalitions internes sont mieux connues.

Il faut le redire : on ne gouverne pas seul. Un chef qui ne pourrait faire confiance – et se confier – à un minimum d’alliés avec qui un travail d’équipe est possible verrait certainement son action déboucher sur du vide, faute de relais, de soutiens.

Le pouvoir met en jeu la personnalité tout entière de celui qui l’exerce. Là-dessus, la littérature et le cinéma ont beaucoup à nous apprendre : l’exercice du pouvoir n’est pas psychologiquement neutre. Il renvoie à de multiples thèmes : la culpabilité (Macbeth), la filiation et la mort (Lear), le fantasme de toute-puissance et de réparation narcissique (Caligula), la paranoïa, l’imposture (le colonel Redl), etc.

Dans la pratique, chaque  prise de pouvoir doit commencer par une interrogation systématique : pourquoi suis-je là ? Quel est ce moi qui a la prétention de diriger les autres ?… Diriger ne va donc  pas sans emprunt de masques. Mais il faut toujours se rappeler le mot de Lincoln Roosevelt: « You can’t fool all the people all the time. » (« tu ne peux pas tromper le peuple tout le temps »)

Notis©2013